Aimez vos ennemis

« AIMEZ VOS ENNEMIS. » C’est très fort! Cela renverse notre manière de penser et nous fait donner un coup de volant qui change la direction de notre vie! Car, inutile de nous le cacher, un ennemi, petit ou grand, nous en avons tous un.

Il est là, derrière la porte de l'appartement à côté, sous le visage de cette dame si antipathique et indiscrète, que j'essaie d'éviter chaque fois qu'elle est sur le point de prendre l'ascenseur avec moi. Sous le visage de ce membre de ma famille qui, il y a trente ans, a causé un tort à mon père et à qui donc je ne dis jamais bonjour.

Il est assis en classe derrière toi et tu ne l'as jamais, jamais regardé en face depuis ce jour où il t'a accusé devant le professeur. C'est cette fille qui était copine avec toi et qui t'a plaqué pour sortir avec un autre. C'est ce commerçant qui t'a embrouillé. Ce sont ces gens qui à propos de politique ne pensent pas comme nous et nous les traitons donc d'ennemis. Certains voient dans l'État un ennemi et pratiquent la violence envers ceux qui le représentent. Comme on peut être hostile à l'égard des prêtres et de l'Église.

Eh bien, tous ceux ci, et beaucoup d'autres, que nous taxons d'ennemis, il faut les aimer. Il faut les aimer ? Oui, il faut les aimer! Et ne crois pas pouvoir t'en sortir en remplaçant simplement ta haine par un peu de bienveillance. Il faut aller plus loin. Écoute ce que dit Jésus :

« Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. » Tu vois ? Jésus veut un amour qui s'exprime par des prières et par des gestes. Dans un autre passage, il dit aussi: « Faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. » (Luc 6, 27-28)

Il nous explique pourquoi il nous donne ce commandement, en nous montrant comme exemple l'amour de Dieu, son Père, et en nous invitant à faire comme lui, à modeler notre conduite sur la sienne.

Voilà ce qu'il en est. Nous ne sommes pas seuls au monde. Nous avons un Père et nous devons lui ressembler. Et pas seulement. Dieu a droit à ce que nous nous comportions de cette façon parce que, alors que nous lui étions hostiles, que nous étions encore dans le mal, il nous a aimés en premier, en nous envoyant son Fils, qui est mort de cette manière terrible pour chacun d'entre nous.

A Washington, cette leçon a bien été apprise par le petit Jerry, un enfant noir qui, grâce à son quotient intellectuel élevé, a été admis dans une classe spéciale où tous les autres étaient des blancs. L'intelligence ne lui a pas suffi pour faire comprendre à ses camarades qu'il était leur égal. Sa couleur a attisé la haine générale, si bien que le jour de Noël tous les enfants se sont fait des cadeaux les uns aux autres mais ont ignoré Jerry. Le petit garçon a pleuré, on le comprend bien! Mais rentré chez lui, il a pensé à Jésus: « Aimez vos ennemis » et, d'accord avec sa mère, il a acheté des cadeaux qu'il a distribués avec amour à tous ses « frères blancs ».

Quelle souffrance pour la petite Elisabeth, de Florence, le jour où, en montant les marches de l'église pour aller à la messe, elle a entendu un groupe de jeunes de son âge se moquer d'elle! Elle voulait réagir, mais elle a souri et, une fois dans l'église, elle a beaucoup prié pour eux. A la sortie, ils sont venus vers elle et lui ont demandé pourquoi elle avait agi de cette manière. Elle leur a expliqué qu'elle était chrétienne et que donc elle devait aimer toujours. Elle parlait avec une conviction pleine de feu. Son témoignage a été récompensé: le dimanche suivant elle trouva tous ces jeunes dans l'église, au premier rang, très attentifs. C'est ainsi que les enfants prennent la parole de Dieu. C'est pourquoi ils sont grands devant lui.

Peut-être nous aussi sommes-nous dans une situation qui demande de réagir, d'autant plus que nous serons jugés de la façon dont nous jugeons les autres. En fait, nous donnons nous-mêmes à Dieu la mesure avec laquelle il doit nous mesurer. Par exemple, ne lui demandons-nous pas: « Pardonne-nous nos offenses comme nous. Pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé. » ? Donc aimons notre ennemi! C'est seulement en agissant ainsi que nous pourrons combler des manques d'unité, abattre des barrières et construire la communauté.

C'est lourd ? C'est pénible ? Rien que d'y penser nous n'arrivons plus à dormir ? Courage. Ce n'est pas la fin du monde: un petit effort de notre part.

CHIARA LUBICH